Au Sud-Soudan, on attendait avec impatience la visite du pape François dans ce pays, initialement prévue en juillet, mais désormais reportée. Nous sommes tous très déçus et nous prions pour que le pape soit bientôt sur pied et puisse venir au Sud-Soudan et en République démocratique du Congo.
Son engagement personnel en faveur de l’établissement d’une paix durable est incontestable. Son geste remarquable et sans précédent en 2019, consistant à embrasser les pieds des deux principaux dirigeants politiques et protagonistes du conflit, a fait la une des journaux du monde entier. Cela a clairement montré le pouvoir de deux dirigeants politiques de faire le bien ou le mal et le désir sincère d’un chef spirituel de surmonter tous les obstacles à la paix, y compris l’ego personnel. Il existe une grande aspiration à la paix, à la cessation de la violence, à l’établissement d’une gouvernance démocratique et responsable dans un pays qui a connu des guerres intermittentes au cours des six dernières décennies. Au cours de ma troisième année en tant que membre de Solidarity with South Sudan, j’ai commencé à me demander à quoi ressemblera la paix, en particulier pour les femmes de ce nouveau pays africain indépendant. S’agit-il simplement de retirer le fusil et la balle de la société, ou la paix doit-elle prendre un autre visage et s’attaquer au visage ordinaire et souvent accepté de la violence ? Lorsqu’il viendra dans notre pays, le pape devra-t-il s’intéresser exclusivement aux hommes qui empêchent la paix ou devra-t-il voir le visage et les pieds des victimes de la violence ordinaire et acceptée contre les femmes et les jeunes filles ? « Le Seigneur entend le cri des pauvres… » Je souhaite que le pape, l’église et le monde reconnaissent et s’adressent aux victimes primaires, qui portent une si grande partie de la force vitale de ce jeune pays. J’ai entendu dire que le pape François a été qualifié de porteur de bonnes nouvelles, dont la visite pourrait ouvrir la voie à un nouveau Sud-Soudan. J’espère que sa visite sera l’occasion de peindre ce nouveau visage de guérison et de paix, un rétablissement des relations de paix, de respect et de dignité pour tous, mais surtout pour les femmes et les filles. Je suis convaincu qu’une paix véritable ne peut être établie qu’en s’attaquant à la source et aux victimes de la violence, plus particulièrement à celles qui ont été privées de toute forme de respect, y compris du respect de soi. Dans ce pays, cela signifie qu’il faut s’occuper des femmes et des filles en premier lieu. Personne ne peut rendre ce qui a été si impitoyablement volé aux plus vulnérables de la société. La dignité humaine et la parité du respect ne sont pas des articles qui s’échangent. Il est facile de les voler, mais seuls les survivants peuvent récupérer leur espace personnel et forger de nouveaux chemins vers la dignité. Tout en portant les cicatrices de la violation, les survivants sont les seuls à pouvoir prendre le contrôle et donner forme à leur propre vie. Mon rôle en tant que femme de foi est de les soutenir dans ce processus et de les aider si et quand elles demandent de l’aide. J’ai reçu une formation professionnelle en conseil et en psychologie sociale en Europe du Nord. Cela m’a permis de réfléchir à mon propre parcours en tant que femme africaine dans une société dominée par les hommes. J’ai eu le privilège d’écouter des femmes qui cherchent à revendiquer leur propre voix et leur dignité, contre vents et marées. Chaque personne doit trouver ses propres réponses à ce qui lui est arrivé. Personne ne peut donner de solutions, et toutes ne réussissent pas à trouver leurs réponses. Depuis 20 ans que je travaille dans ce domaine, je porte en moi un grand espoir en voyant les personnes vulnérables et brisées émerger pour revendiquer une nouvelle vie pour elles-mêmes. Permettez-moi de brosser un tableau saisissant de la situation au Sud-Soudan, mais qui peut aussi s’appliquer à d’autres sociétés. Alors que l’horloge fait tic-tac, annonçant une nouvelle heure, un nouveau jour (et, espérons-le, en disant « oui » au nouveau départ), la femme sud-soudanaise lève le visage avec un désir ardent que l’histoire écrive un récit différent. La paix, la non-violence, les droits de l’homme et la dignité humaine sont des mots et des terminologies qui ne sont pas encore des réalités dans leur esprit. C’est une histoire dont les coutures éclatent dans l’attente d’une nouvelle aube, une aube où les femmes et les filles de l’histoire chanteront joyeusement leur Alléluia à leur Sud-Soudan nouveau-né ! Mais qu’a fait l' »ancien » Sud-Soudan à cette femme ? Il est honteux de l’admettre, mais certaines parties de la société sud-soudanaise créent un environnement dans lequel les femmes et les filles sont généralement considérées comme des marchandises. Au Sud-Soudan, les femmes se voient refuser tout pouvoir de décision et sont très exposées aux abus et à l’exploitation. Selon la culture en vigueur ici, les hommes peuvent tout faire car les femmes ne sont tout simplement pas valorisées. La violence à l’égard des femmes et des filles est monnaie courante et, ces dernières années, le Sud-Soudan a connu des niveaux de violence sexuelle parmi les plus élevés au monde. Les attaques contre les femmes et les filles se produisent dans tout le pays. Malheureusement, le pays ne dispose que de moyens limités pour lutter contre ces crimes – des crimes essentiellement associés aux fréquentes guerres et conflits ethniques alimentés par les divisions ethniques et les razzias de bétail entre de nombreuses tribus. La violence à l’égard des femmes et des filles s’accentue au moment de ces conflits. Il est horrible de voir ou même d’imaginer comment les hommes des deux côtés du conflit utilisent la violence sexuelle et la torture, en particulier sur les femmes et les filles, dans le cadre de leur stratégie de victoire. L’impunité pour les auteurs de violences sexistes, ou VFS, qu’il s’agisse d’hommes armés ou de membres de la famille commettant des actes de violence domestique, est le statu quo au Sud-Soudan. La plupart des cas de VBG sont résolus par le biais du système juridique coutumier. Le droit coutumier est juridiquement contraignant au Sud-Soudan, un droit fortement patriarcal et produisant rarement des résultats favorables pour les femmes et les filles. La plupart des victimes de violence liée au sexe ont le sentiment que le système est truqué contre les femmes, et ce à juste titre. En discutant récemment avec une Sud-Soudanaise d’âge mûr, j’ai compris que les femmes et les filles ne signalent pas les cas de violence liée au sexe pour de nombreuses raisons, notamment parce qu’elles ne veulent pas se soumettre à ce niveau d’examen par les hommes âgés de leur communauté, d’autant que les « audiences » sont souvent publiques. Néanmoins, la résilience de cette femme sud-soudanaise et son espoir d’une « aube nouvelle » restent inébranlables – cette femme et moi pensons toutes deux que le Vendredi saint a donné lieu au Dimanche de Pâques ! Lorsque le pape François se rendra enfin au Sud-Soudan, sera-ce exactement ce dont nous avons le plus besoin pour instaurer une paix durable? Je tiens à remercier le père Jim Green, directeur exécutif de Solidarity with South Sudan, pour l’aide qu’il m’a apportée dans la rédaction de cette chronique. Scholasticah NgandaScholasticah Nganda est kenyane de naissance et membre de la Congrégation des Sœurs de la Miséricorde. Elle est actuellement directrice des programmes pastoraux de Solidarity with South Sudan, à Juba, et est l’un des quatre membres de l’équipe pastorale de Solidarity qui travaille en collaboration avec la Conférence des évêques catholiques du Sud-Soudan pour répondre aux besoins pastoraux de l’église sur place. Article original sur globalsistersreport.org |
Date Published:16 Aug 2022 Author:Scholasticah Nganda, Solidarity Pastoral Team Article Tags: Dernières nouvelles, Sud-Soudan, Solidarity, Paix, Réconciliation, Mission |